Apr 13 • FORMAT'KINÉ

Cervicalgie et posture : ce que l’alignement cervical nous dit vraiment

Les douleurs cervicales figurent parmi les affections musculosquelettiques les plus courantes. En cabinet, elles sont une des principales causes de consultation, souvent décrites comme diffuses, mécaniques, parfois chroniques. Face à ce symptôme, une hypothèse largement répandue est celle du lien entre douleur et posture — notamment l’alignement de la colonne cervicale.

Mais cette hypothèse tient-elle vraiment scientifiquement ? L’étude parue en 2025 dans l’European Spine Journal propose une analyse rigoureuse de la posture cervicale, évaluée par imagerie, et de son lien potentiel avec la présence de douleurs.
38,2 % des 323 participants rapportaient des douleurs cervicales persistantes au moment de l’évaluation.
L’angle moyen de la lordose cervicale (C2–C7) était de 21,1° chez les asymptomatiques et de 18,2° chez les patients douloureux (p = 0,01).
L’âge moyen des participants de l’étude était de 38 ans, avec une répartition équilibrée entre hommes et femmes.

Objectif de l’étude

L’étude vise à répondre à une question claire :
L’alignement cervical — c’est-à-dire la courbure naturelle de la colonne cervicale — est-il réellement corrélé à la présence ou l’intensité de la douleur cervicale ?

Elle s’appuie sur un échantillon large de 323 adultes (âge moyen : 38 ans), dont certains souffraient de cervicalgies, d’autres non. Tous ont été évalués par radiographie latérale debout (standardisée) pour analyser 10 paramètres posturaux cervicaux précis, incluant :

  • l’angle de lordose cervicale C2-C7
  • le rapport cranio-cervical
  • la translation antérieure de la tête (T1-Slope, C2-C7 SVA)
  • l’inclinaison de la mandibule, etc.

 Principaux résultats : des écarts, mais pas si significatifs

Les patients douloureux ont une lordose cervicale légèrement réduite

Oui, une légère diminution de l’angle de lordose C2-C7 a été observée chez les personnes symptomatiques (18,2° contre 21,1° en moyenne chez les asymptomatiques). Mais cette différence, bien que statistiquement significative, reste faible cliniquement, surtout compte tenu de la variabilité naturelle observée.

Autrement dit : ce n’est pas parce qu’un patient présente une lordose réduite qu’il aura nécessairement mal, ni l’inverse.

Aucune différence sur la translation antérieure de la tête

L’un des postulats fréquents en kinésithérapie est que la position de la tête projetée en avant — le fameux “forward head posture” — serait délétère. Ici, l’étude n’a trouvé aucune différence significative entre les groupes symptomatiques et asymptomatiques pour ce paramètre.

Cela remet sérieusement en question les jugements cliniques faits à l’œil nu ou sur photos de posture.

Les autres paramètres (SVA, T1 slope, etc.) ne sont pas non plus prédictifssique

Sur les 10 mesures étudiées, seule la courbure lordotique présente une différence statistique — les autres sont équivalentes dans les deux groupes.

  Et la douleur dans tout ça ? Corrélation ne vaut pas causalité

L’un des apports majeurs de l’étude est de rappeler un principe fondamental en science clinique : corrélation ne signifie pas causalité. Même si certaines différences posturales existent, elles n’expliquent pas l’apparition ou l’entretien de la douleur.

Les auteurs insistent également sur le rôle des facteurs biopsychosociaux, absents ici mais incontournables dans l’approche de la douleur chronique. Ce que le cliché radiographique montre est une donnée, mais ce que le patient vit est bien plus complexe.

Ce que le kiné doit retenir en pratique

La posture seule ne suffit pas à expliquer la douleur

Une posture cervicale légèrement modifiée n’est pas un marqueur fiable de douleur.

Ne pas médicaliser à outrance une posture “en avant”

Éviter de sur-pathologiser une attitude cervicale "en avant" sans plainte fonctionnelle.

Penser global : la douleur cervicale est multifactorielle

Intégrer une approche globale et multifactorielle de la cervicalgie, sans se focaliser uniquement sur l’alignement radiologique.

 Les mesures posturales ne sont
que des indices

Utiliser les mesures posturales comme indicateurs secondaires, et non comme critères de diagnostic ou de pronostic.
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CONCLUSION

L’étude ne nie pas l’existence de différences posturales entre patients douloureux et non douloureux. Elle invite simplement à dépasser une vision mécanique simpliste de la douleur cervicale, pour adopter une posture plus nuancée, plus moderne et fondée sur les preuves.

Pour le kiné, cela signifie revenir à l’essentiel : l’écoute du patient, l’analyse fonctionnelle, et une approche thérapeutique individualisée. La radiographie reste un outil, pas une vérité absolue.

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Recommandations pour la pratique clinique

Ne pas se fier uniquement à l’imagerie pour expliquer la douleur

Évaluer la fonction
avant la posture

Adopter une communication rassurante et dépathologisante

Proposer un plan de soin multimodal et individualisé


En suivant ces recommandations,le praticien s’affranchit de lectures posturales réductrices pour adopter une approche plus fine, plus respectueuse de la complexité du patient douloureux. Cela ne signifie pas d’abandonner toute considération de l’alignement cervical, mais de le replacer à sa juste valeur : un paramètre parmi d’autres, et rarement suffisant en lui-même pour expliquer ou prédire une cervicalgie. Face à une plainte aussi fréquente que multiforme, l’évaluation clinique doit évoluer vers une lecture fonctionnelle, contextuelle et humaine, dans laquelle l’image est un éclairage, mais où le vécu du patient reste le vrai terrain d’intervention du kinésithérapeute. Ainsi, chaque prise en charge gagne en justesse, en efficacité… et en sens.
Référence de la Recherche
Lee, J. H., Jeon, C. H., Park, J. W., Park, J. H., & Chung, N. S. (2025). Evaluation of cervical spine alignment and its relationship with neck pain: A cross-sectional study. European Spine Journal, 34(2), 586–593. https://doi.org/10.1007/s00586-025-08814-z